Entre Antony Thiodet et les Ultramarines, deux visions s’affrontent

Recruté officiellement au début de l’année 2019 par les Girondins de Bordeaux version General American Capital Partners / Joe DaGrosa, d’abord avec le titre de « directeur ticketing et hospitality » puis avec celui de « directeur de la stratégie commerciale stade et réseau » – celui qu’il affiche sur son profil LinkedIn -, Antony Thiodet avait annoncé la couleur… avant même sa prise de fonctions.

Fin 2018, alors qu’il était consultant, via son agence ‘Time For Biz’, et ne travaillait donc pas encore à temps plein pour les Girondins, l’ancien directeur marketing de l’AS Saint-Étienne et directeur général de l’ASVEL (grand club lyonnais de basketball) expliquait ainsi à Écofoot l’essentiel de sa philosophie en matière de gestion d’une stratégie commerciale pour remplir une enceinte sportive :

« Du remplissage de nos stades dépendent directement les autres revenus constitutifs des budgets de nos clubs*. (…) Élément de base dans toute action marketing, nous sommes très attachés à l’équilibre entre offre et demande, donc à tout faire pour tenter de créer de la rareté sur les billets des clubs. Seule cette rareté permettra de générer à la fois de la demande supplémentaire et permet, à terme, d’augmenter les revenus de billetterie. (…) Les millions des droits TV ont rendu un peu fainéants certains clubs. Tout comme la possibilité de vendre un joueur en fin de saison à un club de Premier League pour masquer un déficit. »

*concernant le budget des Girondins, Thiodet a annoncé à WebG que celui de 2019-20 (63-65M€) n’était ‘que’ le 9ème de Ligue 1 mais qu’une montée à 110-115M€ était visée à l’avenir, pour recoller au Top 5. Pour cela, une hausse et une diversification des revenus (internationaux) sont recherchées.

PAS SUR LA MÊME LONGUEUR D’ONDES

Cette semaine, dans l’émission ‘Le Talk‘ de WebGirondins, Antony Thiodet a répondu aux vives critiques des supporters du FCGB, Ultramarines en tête, quant à cette orientation visant à créer la rareté pour les places dans LA tribune la plus bruyante et animée : le Virage Sud. Un choix qui a, semble-t-il, conduit le club a rendre très aléatoire et fluctuante – voire parfois… inaccessible – la possibilité de réserver des places au VS, même (surtout ?) lors des matches contre des équipes peu huppées (Metz et Brest) où les affluences au  »Matmut Atlantique’ / stade René ont été de seulement 15 000 personnes environ.

Les mots de Monsieur Thiodet sur sa plan billetterie et les soucis des supporters pour réserver des places au VS :

« On a décidé, plutôt que de mener toutes les batailles, de se focaliser sur les plus importantes. (…) On a fait le choix de se concentrer sur les plus gros matches. On estime que l’expérience est bonne quand vous êtes à 25000 spectateurs et plus. On préfère porter un nombre maximal de matches à 25-30000 et plus plutôt que de nous concentrer sur des matches dilués. C’est un choix, on verra s’il est opportun en fin de la saison.

(…) Je ne pense pas qu’on ait empêché les gens d’acheter des places à 15€, car il en restait des milliers pour les matches contre Metz et Brest. Mais oui, on a eu une rupture de stocks sur le Virage Sud et il y a eu un problème. Contacter ceux ayant signalé le problème sur les réseaux a permis d’identifier qu’il y avait eu une rupture de stocks dans le Virage Sud. Mais dans le Virage Sud bas, la capacité est de 3700 places et il y a 2950 abonnés… En plus, on garde pour tous les matchs 100 places en moyenne pour les achats ponctuels des Ultras. Donc il n’y avait plus que quelques centaines de places à vendre. En plus, on a des allotements découlant de contrats signés avant avec les distributeurs, Ticketnet et Francebillet, donc on gèle des places pour eux. Mais il y a eu là un problème de déversement face à la rupture de stock, sur lequel nous n’avions pas eu de remontées avant d’être contacté, notamment par les ultras. Et ce souci a été traité. Encore une fois, on présente nos excuses, comme on l’a fait à ces personnes-là, celles nous ayant contactés. Encore une fois, notre intention n’était pas de les forcer à acheter des places à 25€. »

Comme on pouvait s’y attendre, les explications techniques de Thiodet n’ont pas convaincu ni calmé les Ultramarines. Sceptiques sur son cas depuis leurs premiers échanges, les UB 87 réclament, suite à cette « affaire de la billetterie », sa démission ainsi que celle du président délégué, Frédéric Longuépée. Porte-parole des Ultras bordelais, Florian Brunet accuse même AT de mentir dans ses déclarations.

Les tweets de Florian Brunet, ces dernières heures :

« Nous rejetons totalement cette stratégie stupide. René Gallice n’a jamais eu de difficultés à se remplir pour les grosses affiches. Contre Paris ou Marseille, il y a 4 points à gagner ? Non 3. Autant que pour Metz et Brest où nous étions 10000. »

« Vous mentez, Antony Thiodet. Et cela sur plusieurs points. Vous vous foutez ouvertement du peuple bordelais. D’une, la capacité du VS est proche des 4300 places et non 3700. De deux, il n’y a pas 2950 abonnés au Virage Sud et de trois vous continuez votre cirque ! »

Dans la même veine, les tweets des Ultramarines :

« Les bons résultats de l’équipe ne doivent pas nous aveugler. Rien ne peut justifier une politique tarifaire méprisant sa base de supporters, rien ne peut excuser cette logique uniquement mercantile qui bafoue la tradition populaire du FCGB.

#LonguépéeDémission #ThiodetDémission. »

« Le scandale continue encore et encore. Malgré nos avertissements, la vente des places en Virage Sud continue d’être incompréhensible. Guichets ouverts un jour, fermés le lendemain et réouverts de nouveau ensuite. Pour qui nous prend-on ?

#LonguépéeDémission #ThiodetDémission. »

UN CONFLIT FAIT POUR… DURER ?

La cassure est nette, les mots sont forts. Il faut dire qu’entre la vision « disruptive » et « business friendly » d’Antony Thiodet ; qui n’a jamais caché s’inspirer du modèle culturel américain et vouloir importer ce mode de consommation sportive en France ; et le discours conservateur des Ultramarines sur le football populaire, les valeurs et l’importance que le nécessaire business ne devienne pas abusif, le gouffre est immense…

Voici, notamment, ce que Florian Brunet rappelait, à la fin du mois de mai dernier, dans l’émission ‘Girondins Analyse (radio R.I.G) :

« Il y a une vie populaire autour des Girondins et une tribune populaire à Gallice. Notre combat à nous, c’est vraiment ça : le foot populaire ! Et ça doit être notre combat à tous. Car un football aseptisé, où le football ce n’est qu’une entreprise de spectacle… Non ! Un club de foot ce n’est pas une entreprise de spectacle comme une autre, ni une entreprise comme une autre. On ne doit pas aller au stade comme on va au cinéma ou au cirque.

Faire du business à tout-va, Paris a essayé. Ils ont tenté de virer les Ultras, de mettre les places très chères et de se passer des supporters les plus fervents… Mais ils se sont rendus compte que ce n’était pas possible. On voit bien que pas un club ne gagne de Coupe d’Europe ni ne va loin sans grands supporters. Les supporters, ce sont l’âme d’un club, ses tripes. Ce n’est pas possible autrement. (…) Ce football populaire, il n’est pas acquis. On doit se battre pour qu’il survive. Car le football sans ce côté populaire ce n’est plus le foot qu’on aime. »

Les positions pourront-elles, à défaut de s’accorder (cela semble impossible), se rapprocher ? Dur à croire, vu à quel point les avis des uns et des autres sont tranchés et forgés par le temps, les sensibilités et les expériences. À l’heure où, sur le terrain, le FCGB du coach Paulo Sousa retrouve des couleurs (résultats, jeu, ambitions), une bonne frange du public se coupe – à divers degrés – du club pour des raisons extrasportives. Le Portugais a beau espérer une unité au sein et autour du club, mais aussi flatter les fidèles supporters et demander à ceux qui l’entourent au Haillan de s’inspirer de leur sentiment d’appartenance, le conflit entre les Ultramarines et la direction (duo Thiodet – Longuépée, surtout) ne parait pas près de s’arrêter, tant il est profond et presque ‘philosophique’.

Et au final, ce sont les Girondins et leur public qui sont dans le trouble. Malheureusement…