Y. Philippin (Mediapart) : « Le rachat des Girondins est très intéressant »

Ce weekend, lors des débats du Festival Coup Franc, à Bordeaux, sur les évolutions financières du football par rapport aux supporters et notamment sur le bilan des un an de GACP, King Street et Fortress comme actionnaires du club des Girondins de Bordeaux, le journaliste Yann Philippin (Mediapart, spécialiste du sujet pour les fameux Football Leaks) a bien ré insisté sur le(s) but(s) des fonds d’investissement américains à la tête du FCGB.

« S’il y a une bulle financière autour du football actuel ? Vaste question… Mais oui, c’est indéniable qu’il y a une bulle financière, car il y a une inflation complètement folle des salaires des joueurs, des prix des transferts et des budgets des clubs. Tout ça s’appuie sur une réalité économique, notamment une hausse des revenus de sponsorings, des droits TV etc, donc on dépense plus parce qu’il y a plus d’argent. Mais souvent on a du mal à se demander si c’est la poule qui a fait l’œuf ou l’œuf qui a fait la poule. Finalement, il y a une telle course aux armements dans les grands clubs qu’elle se répercute au milieu et au bas de la chaîne. C’est à dire que, à partir du moment où Paul Pogba (milieu de Manchester United) vaut plus de 100 millions d’euros, ça se répercute aussi sur les joueurs moins chers, qui prennent de la valeur. Du coup, vu qu’on est obligé de les payer plus cher, parce que les gros clubs les paient plus cher, même les clubs moyens doivent payer plus chers des joueurs moyens, alors il faut trouver des sous. Donc on augmente le prix des places, des droits TV. Et surtout on voit que là où il peut y avoir une bulle, comme pour le fairplay financier, c’est quand il y a beaucoup de clubs, les plus gros, qui dépensent à fonds perdus. Et à partir du moment où certains dépensent à fonds perdus, ça fausse le jeu, surtout pour les clubs moyens comme les Girondins, qui n’ont pas de mécènes comme le Qatar ou Abou Dabi pour s’en sortir. Donc oui, il pourrait y avoir une bulle, car au bout d’un moment… qui la paye cette bulle ? C’est vous, en allant au stade, ou en achetant un abonnement à BeIn ou à Canal +. Et là, au bout d’un moment, le portefeuille des fans de foot n’est pas extensible et les gens en auront marre de payer les places au stade trop chères, de payer trois abonnements différents pour voir le match qu’ils veulent voir et peut-être que si les gens se révoltent la bulle pourrait vraiment éclater. On n’en prend pas le chemin aujourd’hui mais on ne peut pas l’exclure complètement…

Que raconte le rachat des Girondins dans ce contexte ? Le rachat des Girondins, il est très intéressant, car il vient d’un fonds d’investissement. On avait, avant, dans le monde du foot, soit des passionnés, soit des groupes industriels ou de médias comme M6 ; et là on voit arriver depuis quelques années des purs financiers. Des gens que l’on pourrait appeler ‘les loups de Wall Street’ ou ‘les loups de la City de Londres’, qui sont des purs financiers, qui veulent avant tout gagner de l’argent et avoir un retour sur investissement. Ils s’intéressent au football, alors qu’avant ils s’en détournaient, car ils pensent qu’aujourd’hui ce n’est plus trop risqué et qu’il y a un coup à jouer et qu’on peut se faire aussi de l’argent dans le foot. Ce sont des modèles nouveaux, qui sont essentiellement basés sur de la dette : on rachète un club avec de la dette et on espère la rembourser en faisant de bonnes affaires sur les transferts, c’est-à-dire en achetant de jeunes joueurs et en les revendant très cher. Aussi, on parie sur la hausse des droits TV, qui – comme vous le savez – vont bientôt augmenter en France. On peut alors se dire que si on gère bien l’affaire, on fait quelques plus-values de transferts et d’ici 4-5 ans on peut revendre le club plus cher qu’on ne l’a acheté. On a donc des actionnaires qui, évidemment, ont besoin que le niveau sportif soit acceptable pour ne pas que le projet s’effondre, mais qui sont plus motivés par l’aspect financier que par l’aspect sportif. »