Bordeaux, Zizou, la CdM 98, ses regrets : C. Dugarry retrace sa carrière

Dans un bel entretien à Kombini, l’ancien attaquant international français des Girondins de Bordeaux, Christophe Dugarry, retrace sa carrière en répondant à plusieurs questions, évoquant différentes périodes et facettes de son vécu dans le football, lui qui « ne sera pas dans les médias ad vitam æternam, ça c’est certain ». Verbatim.

« J’étais au biberon du sport et du football en général, car je suis issu d’une famille de sportifs. Le moindre match… J’ai été piqué très, très tôt. Mais devenir un professionnel, ça n’a pas été une obsession très jeune. Ce n’était pas un objectif, comme aujourd’hui les jeunes ont beaucoup. Maintenant, à 12-13 ou 14 ans, les parents veulent que leurs enfants fassent carrière et s’imaginent que ça va être le nouveau Mbappé, le nouveau Zidane, mais mon père, alors que les recruteurs des Girondins de Bordeaux étaient venus le voir pour que j’y aille, disait : ‘Non, il est avec ses copains, il s’amuse’. Donc c’était vraiment un truc très en dilettante, très cool. Ça s’est fait au fur et à mesure des paliers, des envies, de mon envie à moi, aussi, car à 10-11 ans tu as envie d’être avec les copains, plus que de jouer au foot au autre. Et quand j’ai eu vraiment la passion d’être meilleur, toujours, de plus m’entraîner, on m’a demandé si j’avais toujours envie, si j’étais toujours motivé. Et j’ai dit oui à mon père, à 13 ans, donc il m’a dit ok pour que j’aille aux Girondins, me mesurer à un autre niveau. Alors je suis rentré dans un centre de formation, avec 20 mecs de l’élite régionale, qui voulaient devenir professionnels, donc c’était compliqué car il y avait de la concurrence, qu’il fallait toujours être le meilleur. Mais je pense que j’ai vraiment pris conscience que je pouvais être pro lors de mon premier match, en 89, à 17 ans, contre Cannes. Et j’ai l’opportunité de jouer, donc je me dis ‘Peut-être que j’ai ma chance et que ça va pouvoir le faire’.

(…) Zizou, je le connaissais des équipes de France de jeunes, depuis 14-15 ans. J’avais donc déjà eu affaire à lui, un garçon très timide et réservé, et de suite on a accroché. On n’avait pas du tout le même tempérament ; moi je parle beaucoup, je la ramène tout le temps, et lui pas du tout. Donc je ne sais pas ce qui  fait que ça a accroché. Je pense qu’il aurait aimé être un peu plus comme moi et moi un peu plus comme lui. Et quand il débarque à Bordeaux, c’est une super nouvelle, ouais. C’est un copain qui arrive, et puis surtout un mec dont moi je savais qu’il était déjà génial. Mais Bordeaux ne va pas du tout le chercher pour dire : ‘C’est la future star’. Mais après, bon, forcément, quand il joue, on se rend vite compte que c’est pas mal… Et à l’époque, je savais faire autant de choses que Zizou. Après, en voyant nos différents parcours, on se rend compte qu’il y a autre chose que la qualité technique du jeu et du football. Mais en équipe de France Espoirs je me souviens que le sélectionneur venait nous voir tous les deux et nous disait : ‘Bon, les gars, qui joue la première mi-temps et qui joue la deuxième ?’. Il n’arrivait pas à nous départager. Après, il y a eu le travail et le mental, qui ont fait que Zidane est devenu ce qu’il  été ; à la différence de moi. Mais à l’époque, oui, c’était comme ça. N’en déplaise aux jaloux, aux méchants, aux aigris et aux cons. Car il y a aussi beaucoup de cons sur internet, même si ce n’est pas à ceux-là que je m’adresse. Je sais qu’il y aura des réactions derrière, mais je l’assume et si un jour on a la chance de refaire Zizou (en interview) je lui poserai la question. Mais au-delà du footballeur, ce que j’aime et que j’ai toujours aimé chez lui c’est son humilité.

(…) Quand j’ai tiré la langue au Mondial 98 après avoir marqué le premier but du tournoi, contre l’Afrique du Sud ? Alors, écoute, ça aurait pu aller bien plus loin. Je voulais m’en prendre à tous ceux m’ayant défoncé juste avant et disant que je ne méritais pas la sélection, que c’était car j’étais le pote de Zidane… Ceux là, évidemment, je leur en veux. Pas qu’ils le disent, car sincèrement si à l’époque je n’avais pas été sélectionné ce n’aurait pas été un scandale… Je marquais peu de buts, alors que d’autres joueurs… J’étais notamment en concurrence avec Anelka, qui aurait mérité autant que moi d’y aller. Donc je pouvais comprendre que les journalistes et les supporters n’étaient pas d’accord avec ma sélection. Je l’accepte. Mais une fois que t’es sélectionné, le sélectionneur (Aimé Jacquet) n’allait pas me virer. Pendant un mois on a dit que j’étais un mauvais choix, mais je n’allais pas repartir. Ou alors il espéraient peut-être que je me blesse. Mais ça n’a pas été le cas. Donc c’est ça qui m’avait énervé : une fois que je suis sélectionné, laisse-moi faire mon truc et si je suis nul, que l’équipe de France passe au travers qu’Aimé Jacquet s’est trompé ; la presse nous déboîte à la fin, on leur fait confiance. Alors oui, quand je marque, j’ai eu cette réaction (il mime ses mouvements de bras, poings fermés) et je ne vous cache pas que je veux mettre les (il montre son majeur). Et par bonheur, sincèrement, je ne l’ai pas fait et j’en suis ravi. J’ai juste fait ça et tiré la langue, ça reste ‘mignon’… Si j’avais fait le contraire, j’aurais regretté toute ma vie.

Ensuite, au second match, je me blesse. Mon objectif, il est alors de rentrer sur la finale et de marquer le dernier but de la compétition, car j’ai mis le premier et que je veux à tout prix – c’est mon seul objectif – mettre le dernier. Donc, à partir du moment où je me blesse, tous les jours, 3-4 fois par jour, avec le kiné, le médecin, l’ostéopathe, je me file l’objectif de jouer le dernier match. C’était pour ne pas sortir de la compétition, car malgré tout tu es un peu en dehors, avec les kinés quand les autres sont sur le terrain. Et donc, quand j’ai la chance de rentrer, pour les dernières 24 minutes de la finale contre le Brésil, j’y crois. J’ai d’ailleurs l’occasion de marquer ce but et je me foire totalement. Il y a Bohossian – je crois – qui m’envoie le ballon, je fais une déviation de l’extérieur du pied à Zizou, je fais l’appel en profondeur, il me la remet : je suis face-à-face avec le gardien. Là, il sort, je vois qu’il va sortir, mais au lieu de sortir vraiment il s’arrête en plein milieu. Je voulais le lober, mais j’ai changé d’avis, décidant de frapper cou du pied, mais je crois trop ma frappe et je me foire totalement. L’histoire aurait été belle si j’avais marqué le premier et le dernier but du tournoi (sourire)… Je l’ai revécue un paquet de fois cette occasion, mais bon, c’est comme ça, j’en ai ratées d’autres. Puis quand l’arbitre siffle la fin du match, j’ai pensé à ceux qui m’avaient soutenu, à mes amis, mes coéquipiers, à mes parents dans les tribunes. On a fait des accolades avec Aimé Jacquet dans les vestiaires, puis on part à Clairefontaine fêter ce titre entre nous. Voilà. On est apaisés, relâchés, c’était une excellente nuit.

Ma carrière, je ne la regrette pas, mais le seul regret que je peux avoir c’est que j’aurais aimé savoir jusqu’à où j’aurais pu aller. J’avais la chance d’avoir un potentiel, de faire partie des jeunes les plus talentueux, et peut-être que parce que je n’ai pas assez travaillé je ne suis pas allé au bout de mes limites. Donc c’est peut-être le regret que j’ai… Mais après, des conneries, j’en ai fait plein, et quand je critique des garçons comme Ben Arfa, Balotelli, Depay… C’est car je me retrouve en eux : ce qu’ils ont fait, leur caractère, parfois leur façon de jouer au football, de voir ou faire le football. Et je sais qu’ils sont dans le faux, qu’ils auront des regrets… »

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