« Le stade, enculé ! », symbole d’une rupture entre supporters ?

Cela n’aura, sans doute, pas échappé aux personnes présentes au Parc Lescure hier et ça s’est peut-être également entendu à la télé… En effet, un triste chant a brièvement résonné hier durant le match entre les Girondins de Bordeaux et le Paris Saint-Germain. Habituellement, les gestes obscènes et les insultes – peu brillantes, mais faisant partie du « folklore » on va dire – liées aux orientations et pratiques sexuelles (pas besoin de les écrire) sont réservés aux adversaires, surtout quant il s’agit du Paris Saint-Germain, étant particulièrement impopulaire auprès des supporters bordelais. Mais, cette fois, les Ultramarines et le virage sud on fait « fort » puisque ce sont les paroles « Le stade, enculé ! » qui ont été lancées par le capo et reprises pendant quelques secondes par une bonne partie de la plus bruyante des tribunes du stade Chaban-Delmas.

 

Inédit, inattendu et révélateur, ce chant est lourd de sens et de symbole. Car quand un groupe de supporters en arrive à insulter le reste de « son » stade c’est forcément que la situation est grave et l’ambiance tendue. L’ambiance justement… Les Ultramarines et leurs sympathisants du virage sud l’ont mise, et de belle manière, avec un tifo et des confettis ainsi qu’en donnant de la voix pour leur équipe et en bougeant pendant 90 minutes. Le tout, sans fumigènes. L’ordre des leaders ultras de ne pas en allumer ayant, pour une fois, été respecté totalement.

Un public pas à la hauteur qui abandonne son stade à l’adversaire 

Dans le reste du stade (les tribunes latérales et le virage nord), que les Bordelais désertent depuis de longs mois, il était particulièrement triste de constater qu’une (petite) majorité des personnes étaient venues non pas pour voir et encourager les Girondins, mais pour voir et encourager le Paris Saint-Germain. En témoignent ces rangées entières, certaines vêtues de maillots du « nouveau Paris », se levant, criant de joie et applaudissant sur les deux buts inscrits par les joueurs de la capitale. La situation ne fait plaisir à personne, et a été très mal vécue par les supporters du virage sud. Et d’ailleurs sans doute. 

Sur le moment, alors qu’on arrive au dernier quart d’heure de jeu, que le PSG domine largement, menant 2-0 au score, et que leurs supporters présents en tribunes latérales (opportunistes venus avec le Qatar comme amoureux depuis plus longtemps du club parisien – le but n’est pas ici de parler d’eux -) commencent à chambrer les Ultramarines et le Virage Sud, la colère est très grande. L’amertume aussi. Car pour les fidèles supporters de notre FCGB (et ils ne sont pas uniquement au virage sud, loin de là), voir leur stade ainsi déserté et occupé par l’adversaire fait, vraiment, très, très, TRÈS mal.

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Aussi, après s’être demandé à voix haute : « Je ne vais quand même pas lancer ça… » et avoir sondé les gens devant lui, le capo central des Ultras a pris la décision de lancer ce fameux « Le stade, enculé ! », lourd de rancoeur. Au virage, répétons-le, personne n’était heureux de chanter ça ou – pour ceux qui ne l’ont pas fait – de le voir chanter, et surtout pas les autres leaders ultras, qui regardaient, désabusés, « leur » tribune principale se livrer à l’insulte pure et simple des autres tribunes du stade. Celui là même qu’ils se chargent d’animer tant bien que mal, match après match, saison après saison. 

Cri de rage et de douleur, ce chant est venu de lui-même, sur le moment, comme un ras-le-bol face à une situation qui dépasse celle du sportif et s’en dégage même grandement. Car, si le niveau de l’équipe bordelaise sur le terrain est médiocre et que la direction ne fait pas les bons choix, un troisième acteur, normalement indépendant des deux premiers car attaché à l’institution club bien plus qu’aux joueurs et aux personnes dirigeantes, n’est pas à la hauteur à Bordeaux : et il s’agit évidemment du public !

Un malaise de fond et beaucoup d’incompréhension 

En effet, derrière ce chant lancé sans grande réflexion et sous le coup de l’émotion, les Bordelais absents étaient autant visé que les Parisiens présents. Sans doute même beaucoup plus ! Le malheur de l’affaire est d’ailleurs bien là… En effet, ce slogan, a fait davantage de mal que de bien. S’il a permis aux Ultramarines et aux sympathisants du virage sud d’exprimer un ressenti qui ne date pas d’hier et de se soulager quelque peu, il a surtout eu le tort de mettre dans le lot des insultés tout « Le stade » cité. Et s’il y avait sans doute une majorité de gens venus encourager le Paris Saint-Germain et ses stars, l’importante minorité de supporters bordelais, qui ne méritait évidemment pas un tel traitement, a été atteinte, bien plus que les « Parisiens ». 

Ainsi, alors qu’une pétition, somme toute raisonnée, critiquant intelligemment la gestion du club circule et remporte un franc succès sur le net (mais que cette dernière est, malheureusement, « récupérée » à des fins haineuses et très peu constructives par des gens qui ne connaissent pas grand-chose) et que les propos de Jean-Louis Triaud – qui a déclaré ignorer cette pétition et ne pas l’avoir lu – sur les « vrais-faux supporters » n’ont fait que mettre de l’huile sur le feu, les UB 87, à cause de ce chant, ont, en partie malgré eux, entretenu et renforcé cette cassure déjà (même si de moins en moins) sous-jacente. 

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Souvent accusés de copinage avec le président des Girondins (ce à quoi ils ont – pour la énième fois – répondu dans leur dernier communiqué en date), les Ultramarines, que JLT a donc qualifié – si on prend ses propos au 1er degré – comme les seuls « vrais » supporters, et qui ont, il faut le dire, bien du mérite à toujours se déplacer pour soutenir le club et à chanter pour lui sans cesse, vont désormais être perçus, à tort, comme opposés aux « autres » supporters. Les fameux « vrais-faux »… Un comble alors qu’ils ont vocation à en être les principaux représentants et ce du fait de leur présence continue depuis maintenant 26 ans.

Pas l’idéal pour que leur invitation à ce que le Parc Lescure retrouve une affluence et une ambiance dignes de ce(s) nom(s), et que la mentalité bordelaise, trop spectatrice, qu’ils critiquent, non sans raison, évolue de sitôt. L’incompréhension règne donc, et cela au sein même des supporters bordelais. Et vu le contexte sportif de ce début de saison ainsi que l’image médiatique qui est donnée des Girondins en ce moment dans les « grands » médias, rien n’est fait pour que les positions ne se figent pas dans l’opposition primaire et dans les clichés.

Se comprendre, se respecter et cohabiter 

De ce malaise, personne ne sortira gagnant ! Ni les Ultramarines et leurs sympathisants, qui vont s’isoler (et se radicaliser ?) dans leur passion, ni les supporters bordelais qui ne vont plus au stade à cause d’excuses de jeu, d’image, de recrutement, ou d’identité des dirigeants, qui leur font oublier – pour beaucoup – que l’essentiel de ce qui les faisait aller au stade est l’amour du club… Ni, encore moins, le FC Girondins de Bordeaux, qui ne s’en sortira certainement pas sans la totalité (ou au moins la majorité) de son public pour l’encourager.

Pour terminer, disons simplement, sans tabou ni jugement de valeur, qu’il n’y a pas de « vrais » ou de « faux » supporters, ni de « bons » ou de « mauvais ». Force est de constater qu’il y a, cependant, et c’est la même chose dans tous les clubs, des supporters plus passionnés et démonstratifs – où qu’ils soient dans le stade, ou même loin de celui-ci – qui aiment le club avant tout en dépit des résultats et du cycle sportif, mais aussi des supporters plus discrets qui ont besoin d’être confortés par un contexte favorable (résultats, qualité de jeu, image médiatique ou bien recrutement) pour se manifester et exprimer leur attachement.

Deux publics et deux conceptions qui se valent à partir du moment où elle sont assumées et comprises de chacun, et qui doivent se respecter et cohabiter sans haine ni préjugés… Même s’il peut être regrettable que, dans un grand club comme Bordeaux, fort de son histoire et de son palmarès, les premiers soient de moins en moins nombreux.