Romain Molina : « Recruteur, c’est parfois la place du con »

Encore une vidéo fort intéressante, à voir sur sa chaîne YouTube, de la part du journaliste et auteur Romain Molina, qui se penche sur « un métier qui fait rêver quantité de passionnés de football : celui de recruteur ou de scout ».

Ne parlant, cette fois-ci, pas des Girondins de Bordeaux et de leur état dramatique, mais citant quelques autres clubs de L1 et de L2 ou plus bas, Romain Molina décrit cependant des réalités sombres, en coulisses, qui concernent peut-être plus ou moins le FCGB :

« Ce métier de recruteur, qui est à un moment clé avec l’arrivée massive de la data, est très complexe et s’articule dans l’évolution de l’univers du foot. Aussi, selon les pays et les différences culturelles à ne pas sous-estimer, la place du recruteur sera plus ou moins importante et son rôle peut changer. (…) On voit qu’il y a des recruteurs spécialisés pour les jeunes, d’autres pour l’équipe première, mais il faut recontextualiser ce métier dans l’évolution de l’univers du foot. Pour beaucoup, le recruteur, il initie les dossiers en allant voir les joueurs, en faisant des rapports pour dire qu’il faut prendre lui et lui, mais en fait ce n’est pas du tout ça en vrai. Le recruteur, au-delà des fantasmes sur ses responsabilités, il y a une réalité : c’est qu’il est très frustré souvent, car il manque de pouvoir vu qu’il est tout en bas de l’échelle dans un club professionnel. Il y a des responsables de cellule de recrutement, parfois des sous-responsables à l’étranger, des directeurs sportifs, des présidents, des coaches… Donc un recruteur, oui, il peut initier des dossiers, mais son pouvoir de décision est faible, de base, car il ne parle pas argent, il n’a pas le dernier mot et ne peut pas finaliser. Alors, en plus de ça, il faut que le recruteur s’entende bien avec son DS et que le DS croit en son travail, car sinon, si le DS a un égo boursouflé et veut tout faire, veut briller ou veut travailler avec un agent, le pouvoir du recruteur devient nul.

Deuxième point : le rapport temps de travail / salaire est ce qui se fait de plus mauvais dans le football. Recruteur, et c’est un problème, c’est quasiment le job le moins bien payé de tout le football. Maintenant, les propriétaires oublient trop souvent le foot et pensent plus à communiquer pour donner l’illusion que le club travaille, donc ils payent certaines personnes des fortunes parfois mais les recruteurs sont rémunérés au lance-pierre. Souvent, le recruteur, il est pur, passionné, il va voir les matches par amour, et les clubs profitent de ça ; même si bien sûr certains clubs les traitent bien. (…) Recruteur, en fait, c’est parfois la place du con. Soit on a des anciens joueurs qu’on veut garder mais qu’on ne sait pas trop où mettre et qu’on met là pour qu’il ne bosse pas trop, soit on a des passionnés bossant beaucoup et qui sont de bonnes poires à exploiter. En tout cas, comme pour les intendants, le rapport temps de travail / salaire est assez catastrophique. Du coup, certains recruteurs finissent par vouloir passer agents, pour gagner plus et car la solitude du métier de recruteur les use et les gêne dans leur vie, de famille notamment, vu qu’ils voyagent beaucoup, travaillent énormément, sont mal payés – même si, en L1, tu peux bien gagner ta vie quand même, malgré le fait qu’on soit loin des salaires des dirigeants – et n’ont pas de pouvoir. D’ailleurs, si un recruteur n’est vraiment pas du tout écouté, il peut vriller, c’est à dire accepter des deals avec des agents, payer pour qu’on pousse son dossier sur un joueur. En fait, plus un club traite mal ses recruteurs, plus ils seront enclins à cela ; mais comment leur en vouloir vu l’état du milieu… En France, les bonnes personnes du milieu du foot, souvent les petits employés qu’on ne voit pas mais qui sont très importants pour faire bien marcher le sportif, elles se font exploiter. Et ça, c’est terrible.

(…) Après, finalement, le point le plus important, c’est qu’en France, contrairement à d’autres pays ; même s’il y a aussi des escroqueries et des magouilles là-bas ; nos recruteurs ne sont pas considérés, écoutés, pas assez bien traités et payés. Culturellement, on ne valorise pas assez leur boulot. (…) Normalement, dans le fonctionnement d’un club, même s’il y a une hiérarchie, tout le monde doit travailler ensemble, en équipe, et s’entendre : coach, directeur sportif, direction et proprio, cellule, recruteurs. Le directeur sportif, il doit croire dans le travail d’équipe et s’entendre avec le coach, pour ne pas ensuite frustrer les recruteurs qui font le travail de fond sur le terrain et peuvent croire en un joueur qu’ils ont bien scouté, dans l’ensemble et pas juste les jours de match, mais que le club ne considère pas.

Nous, en France, comme en Belgique et en Suisse, on a des modes. D’abord, les présidents omnipotents qui veulent recruter et tout faire – tu n’as pas ça ailleurs -, mais qui n’ont fatalement pas le temps. Donc, ils passent par des suggestions d’agents de confiance. Le coach, il peut aussi avoir ses agents qui poussent leurs dossiers, et ça peut aller à l’encontre de tout. Quand tu es recruteur, comment tu veux faire dans ces cas-là ? Faire du business, ok, mais il faut bien le faire… Et aujourd’hui, quand des directeurs sportifs ne passent même plus par leur cellule de recrutement mais demandent à des copains agents… Tout le monde croque, les agents prennent des mandats, mais le recruteur, si le club est vérolé, il est baisé, il ne sert à rien. Dans plein de clubs en France, c’est ça, aussi bien en L1 qu’à bas niveau ! Pourtant, on voit que, si tu prends le temps, en mettant des bonnes personnes sans trop d’égo ayant toutes besoin les unes des autres, et juste en travaillant bien – mais pas forcément de manière exceptionnelle -, ça marche : exemples de Reims et Strasbourg ou du Servette Genève en Suisse. Lyon, club modèle en France, ils ont 3-4 recruteurs seulement, alors que Séville en a au moins 15. Voilà, rien qu’avec ça, on a tout résumé. L’importance qu’on donne au recruteur, ça montre souvent l’état général de ton foot. Le foot, sur le terrain comme en coulisses, c’est du travail d’équipe, et malheureusement on a trop tendance à l’individualisme et à la starification. »

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