Marchioni : « La nuit, je rêve de dénicher l’oiseau rare, celui que personne n’a vu »

Tandis que Bordeaux s’apprête à recruter un joueur (Mauro Arambarri) qui semble avoir été repéré par la cellule de recrutement de Jérôme Bonnissellequel a quitté le club très récemment -, le site de Libération a publié, il y a une dizaine de jours, un entretien fort intéressant avec Paul Marchioni, « scout » des Girondins depuis plusieurs années. L’ancien défenseur emblématique du Sporting Club de Bastia nous explique comment il est devenu recruteur et la façon dont il travaille et voit son métier.

« J’ai joué pendant quatorze ans à Bastia. J’ai passé mes diplômes d’entraîneur, mais je n’étais pas fait pour ça, je ne comprenais pas la rigueur toute relative de la nouvelle génération. J’ai intégré la cellule de recrutement de Bastia en 2003 avant de passer à Monaco (2006-2011), puis à Bordeaux. Où nous sommes trois [deux depuis le départ de Bonnissel, ndlr] : on doit être unanime sur un joueur avant de le proposer au président Jean-Louis Triaud. (…) J’arrive avec une feuille blanche, je place les 22 joueurs, et au fil du match, je mets quelques notes sous le nom de certains : « vitesse », « tonique », « athlétique », « bonne frappe », « se retourne vite ». J’aime aussi discuter avec les joueurs, l’entourage, la famille. Le mental est fondamental. Le joueur qui est facile à domicile face aux petites équipes, qui met le but du 3-0, c’est de la poudre aux yeux. Il faut du caractère.

(…) Pour Diego Rolán, qu’on a pris à Bordeaux à 19 ans, on a insisté, insisté, insisté pour que le club le fasse signer : un entraîneur est forcément dans le court terme, il veut des gars opérationnels. Enfin, un de mes plus grands souvenirs, c’est Yaya Touré en 2006. Il est exilé en Grèce, on le dit ingérable, bringueur… Je vais le voir à l’hôtel des Ivoiriens pendant la Coupe du monde 2006 et je découvre un grand pro, ambitieux. Tout était juste. On l’a pris à Monaco, qu’il a vite quitté pour le Barça, il est devenu l’un des meilleurs joueurs du monde.

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(…) Plus que d’échec, je parlerais de frustration : un agent m’emmène voir un match à Cruzeiro au Brésil, mon troisième de la journée, et je vois un milieu infatigable, qui n’était d’ailleurs pas le joueur que l’agent voulait me montrer. Au bout de dix minutes, j’ai compris. J’appelle Marc Keller, mon patron à Monaco, et je lui dis qu’il faut 1,3 million pour sortir Ramires. Pas évident après un seul match, mais j’étais certain. Quelques mois plus tard, il signe au Benfica (Lisbonne) pour 7 millions. Puis un an après à Chelsea pour plus de 20 millions d’euros. C’est comme ça, il faut faire avec, connaître le club pour qui on travaille. Une recrue qui se rate, c’est un petit échec à 1 ou 2 millions et ça peut arriver : il y a forcément une part de risque sur un troisième choix. Je demande de la confiance à mon président. Mais si je me plante une fois, deux fois, trois fois, je m’en irai, je n’attendrai pas le coup de fil du président. (…) Recruter à Chelsea, c’est facile : tu regardes le match, tu prends le meilleur et voilà, c’est tout. Celui-là, toute la tribune de recruteurs le voit. J’ai vu Thiago Silva ou Lucas Moura au Brésil, tu ne peux pas te tromper sur les qualités, le seul risque, c’est qu’il ne s’adapte pas. Nous, en France, on s’attaque au 2ème, 3ème choix, il faut avoir l’œil. La nuit, je rêve de dénicher l’oiseau rare, celui que personne n’a vu. Celui sur lequel on va construire quand les autres se posent des questions. »

Le témoignage du recruteur norvégien Tor-Kristian Karlsen, qui a
notamment travaillé avec l’AS Monaco (tout comme Marchioni), est aussi à lire
dans l’article de « Libé ».